J’ai pu rencontrer le 8 mars dernier les élèves de la classe
de 1ère A.S.S.P. du lycée Saint-Martin, à Roubaix.
Pour cet atelier,
les élèves se sont installés au CDI. La plupart sont assis autour des tables disposées en U, quelques-uns saisissent leur travail sur les ordinateurs de la
salle. Alors que leurs enseignantes et moi-même passons de l'un à l'autre, je
propose aux élèves qui le désirent de me laisser lire leur textes.
Progressivement, ils lèvent la main pour que je vienne leur donner un avis... Comme
nous ne passerons qu'une heure ensemble et qu'ils sont plus d'une vingtaine, je choisis de
leur exprimer mes impressions de lectrice, au-delà d'éventuelles erreurs
orthographiques ou grammaticales...
La plupart des récits de vie
collectés sont déjà bien avancés. Comme parfois l'état de santé de leurs
patients ne permettait pas aux jeunes gens de réaliser ce travail difficile dans
de bonnes conditions, Sylvie et Claire ont proposé aux élèves concernés de
recueillir le témoignage d’un proche. L'enjeu n'est pas moindre ! Un
jeune homme renchérit sur sa difficulté à recueillir les confidences de son aïeule :
- Ma grand-mère raconte bien volontiers mais au moment de la rédaction, ça se corse. Régulièrement, je me sens bloqué…
Les liens affectifs peuvent effectivement rendre le « je » narratif intimidant. Je lui suggère de
transcrire dans un premier temps les propos de sa mamie à la troisième personne, comme s’il racontait lui-même l’histoire, et de n’abolir ce garde-fou qu’ensuite,
après avoir établi la chronologie des faits.
De manière générale, la délicatesse
transparaît à travers la manière simple et expressive dont les textes des adolescents
ont été rédigés. Une jeune fille m'explique :
- J'effectuais tous les
jours des soins sur ce monsieur. Cela ne me posait aucun problème, car il était
très gentil et nous nous entendions bien. Mais lorsque j'ai commencé à recueillir son témoignage, même s'il en était heureux, je me
sentais intrusive...
Cette remarque pose la question, essentielle, de la juste place
du biographe : comment construire un espace de confiance et de liberté
mutuelles, au-delà des rôles sociaux et du fossé générationnel ?
En lisant le récit de sa camarade, je découvre l’histoire d’un « Monsieur Hirondelle ».
En lisant le récit de sa camarade, je découvre l’histoire d’un « Monsieur Hirondelle ».
- L’anonymat des
personnes doit être respecté. Comme j’aime tant les hirondelles, m’explique-t-elle, j’ai préféré lui donner ce nom plutôt qu’une simple initiale.
Les choix narratifs adoptés par les
adolescents sont étonnamment divers : certains s'effacent totalement pour ne laisser transparaître que l'expression de leur narrateur, à la 1ère personne. D'autres évoquent leurs émotions à l’écoute du parcours de vie qui leur est confié, en
particulier s’il fait écho à leur propre histoire :
- J'ai été très touchée par l’histoire de cette dame, me
confie M. Elle avait perdu sa maman lorsqu’elle était petite. Parler
de ce deuil lui était trop douloureux, et je n’ai jamais su précisément comment s’était déroulé le drame...
Je ressens à travers la narration de la
jeune fille les non-dits et les larmes contenues de la narratrice ; mais je perçois aussi la confiance
et la complicité. J'admire la délicatesse de la jeune biographe, qui a su ne
recueillir que ce qui lui était donné sans jamais forcer le récit.
« J’adorais m’occuper de cette dame et l’écouter »,
peut-on lire à la fin de son texte très émouvant.
Dans certaines biographies, c'est toute une vie qui
est mise en perspective. D'autres gravitent autour d'un fait particulier. Parfois
encore, c’est le présent lui-même qui est raconté : le quotidien en maison de retraite avec ses
joies, ses peines ; des attentes, des regrets... Certains récits expriment
la plainte de n'être pas assez souvent visité, d’autres, le désir de ne pas déranger
ses proches, comme ce monsieur qui refuse obstinément d'être hébergé par son
fils. Devenu orphelin à l'âge de cinq ans, il a très tôt appris à ne pas peser
sur son entourage…
Guidés et accompagnés et par leurs
enseignantes dès les prémisses du projet, ces jeunes lycéens ont su
créer un faisceau de rencontres signifiantes à travers leurs écrits en s'appropriant avec respect et sincérité les histoires précieuses qui leur avaient été confiées, puis en les transcrivant avec sensibilité.
Une séance de relecture à voix haute est prévue fin avril. Elle permettra, j'en suis certaine, d’autres échanges passionnants.
Une séance de relecture à voix haute est prévue fin avril. Elle permettra, j'en suis certaine, d’autres échanges passionnants.